
Valentin Tonti-Bernard reçoit Chrystèle Lyon-Gabriel, experte-comptable et fondatrice du cabinet Plumalys qui vient de fêter ses 18 ans. Dans cet épisode du podcast Exco by Liberall Conseil, elle raconte son parcours singulier, la création d’un cabinet inclusif où travaillent des personnes en situation de handicap, et son engagement croissant autour de la RSE et de la durabilité.
Son témoignage illustre une conviction forte : il est possible de bâtir un cabinet performant tout en restant fidèle à ses valeurs humaines.
Avant de créer son cabinet le 1er septembre 2007, Chrystèle occupait un poste de direction dans un grand groupe d’assurance. Elle encadrait plus de cinquante collaborateurs et connaissait déjà parfaitement les spécificités du secteur, du plan comptable assurance à la fiscalité des conventions.
Mais la volonté de retrouver un équilibre de vie et la naissance de son fils autiste l’ont poussée à franchir le pas de l’installation.
« J’avais ça en tête depuis un moment. J’ai eu la chance qu’on me propose rapidement de m’associer, puis de créer mon cabinet dans des conditions idéales. »
Son expertise technique dans l’assurance lui ouvre rapidement des portes : Francis Lefebvre et AF2A la sollicitent comme formatrice sur des thématiques fiscales très pointues. Ce positionnement de niche deviendra l’un des piliers de son cabinet.
Dès les premiers recrutements, Chrystèle décide d’ouvrir son cabinet aux personnes en situation de handicap. Non par stratégie RH, mais par conviction personnelle, nourrie de son expérience de mère d’un enfant autiste.
Au fil des années, elle emploie des collaborateurs avec des profils variés : greffe pulmonaire, handicap moteur, troubles du dos, dyslexie, fauteuil roulant…
« Un salarié handicapé est un salarié comme un autre. La seule différence, c’est parfois une fatigabilité plus forte. Alors on commence à temps partiel, puis on monte progressivement. »
Cette organisation inclusive a eu un effet inattendu : le cabinet était digitalisé et flexible bien avant les autres. Les collaborateurs avaient l’habitude de télétravailler, de s’adapter, de prévenir en cas de rendez-vous médical.
Résultat : pendant la période Covid, aucun retard de dossier, aucune rupture de service.
Chrystèle ne cherche pas la croissance à tout prix. Là où certains visent un nouveau collaborateur chaque année, elle préfère maintenir une taille humaine et un rythme de travail soutenable.
« Je suis convaincue qu’on est tout à fait performant en travaillant 7 ou 8 heures par jour. Au-delà de 12 ou 13 heures, on ne l’est plus du tout. »
Cette approche séduit aussi les clients, qui bénéficient d’une réactivité forte : aucun mail ne reste sans réponse plus de 24 heures.
Le cabinet a grandi presque exclusivement grâce au bouche-à-oreille.
La recette :
Chrystèle n’a pas cherché à « faire du marketing », même si elle reconnaît aujourd’hui que le métier évolue et nécessite de nouvelles missions et une communication plus affirmée.
L’assurance reste une spécificité forte. Les dossiers y sont plus techniques, la réglementation dense, le plan comptable spécifique.
Cela permet de se démarquer des cabinets généralistes et de pratiquer des honoraires plus élevés pour ces missions spécialisées.
« Dans l’assurance, je peux facturer davantage de la technique. Cela représente une vraie valeur ajoutée et ça me rend plus visible. »
Ces dernières années, Chrystèle a choisi de se former et d’obtenir le visa de durabilité. Elle propose désormais des missions de diagnostic et d’accompagnement RSE.
Sa démarche repose sur une conviction : la performance économique doit s’accompagner d’un engagement sociétal et environnemental.
« Je pense qu’on peut être chef d’entreprise, gagner sa vie, être performant et s’inscrire proprement dans la société. »
Le marché n’est pas encore mature. Chrystèle a déjà convaincu quelques clients fidèles, mais constate que beaucoup d’entreprises hésitent encore.
Pour élargir son champ d’action, elle a commencé à travailler avec des banques proposant des prêts à impact : des financements bonifiés pour les entreprises qui améliorent certains indicateurs RSE.
Pour l’instant, les missions sont facturées à la journée ou au forfait. Mais une piste intéressante, évoquée avec Valentin, serait de facturer sur le bénéfice concret obtenu par le client, notamment via la baisse de taux d’intérêt sur un emprunt.
Chrystèle suit avec attention l’évolution de l’intelligence artificielle dans le secteur comptable.
Elle y voit des limites : certaines plateformes vendent de l’IA alors qu’il ne s’agit que de règles de reconnaissance simplistes. Mais elle ne nie pas les évolutions rapides : automatisation de l’écriture comptable, intégration aux flux bancaires, scénarios de mails automatisés…
« L’IA doit rester un outil. Tant qu’on est plus intelligents qu’elle, on peut en voir les faiblesses et l’utiliser à notre avantage. Ce qu’il ne faut pas, c’est devenir esclave. »
Chrystèle ne se contente pas de son cabinet :
Une manière de prolonger son action, avec toujours la même philosophie : avancer par petits pas, mais avancer.
Chrystèle envisage la retraite d’ici une dizaine d’années. Mais un nouvel enjeu s’invite : son fils cadet, 19 ans, souhaite devenir expert-comptable.
« Au début, j’ai pensé : mon dieu non ! Mais il a fait un stage au cabinet, il a adoré, et il a choisi cette voie. On verra s’il ira au bout, mais peut-être qu’il reprendra le cabinet. »
Une perspective qui change la donne, entre transmission familiale et cession classique.
À travers son témoignage, Chrystèle Lyon-Gabriel incarne une autre façon de pratiquer l’expertise comptable : inclusive, humaine, mais aussi performante et tournée vers l’avenir.
Son credo, « j’avance avec mes petits pas », est un rappel précieux pour tous les dirigeants : nul besoin de révolutionner son cabinet du jour au lendemain. Ce sont les choix cohérents, alignés avec ses valeurs et répétés dans le temps, qui construisent une trajectoire solide.