Dans cet épisode du podcast Exco by Libéral Conseil, Valentin Tonti-Bernard reçoit Delphine Sabatey, expert-comptable à Pessac et présidente du Conseil régional de l’Ordre des experts-comptables de Nouvelle-Aquitaine. Un échange sincère et structurant, où elle revient sur son parcours, la création de son cabinet Deciseo, son engagement ordinal, les difficultés de la profession… et les transformations qu’elle espère porter.
Un démarrage tardif… et parfaitement assumé
Diplômée en 2007, Delphine ne s’installe à son compte qu’en 2017, après dix ans de salariat dans un cabinet atypique mêlant proximité et grands comptes nationaux. Une lente maturation, freinée par les réalités du marché de l’époque :
« Quand tu es expérimentée, chère, et sans portefeuille client, on ne te fait pas de cadeau. »
Ce n’est qu’après son quatrième enfant, à la faveur d’une rencontre anodine mais décisive, qu’elle prend conscience de son besoin d’indépendance. Elle démarre seule, sans client, en coworking à Bordeaux :
« Je suis installée chez moi… je vois de la poussière par terre… je me lève et je passe l’aspirateur. J’ai compris que ça n’allait pas le faire. »
De l’impro à la posture de dirigeante
Rapidement, Delphine se rend compte que l’installation libérale ne suffit pas. Il faut structurer sa stratégie, son discours, ses offres. Elle se forme à la vente, travaille son pitch, et revoit en profondeur sa posture :
« J’ai posé ma plaque… et je me suis posé les bonnes questions ensuite. »
Elle fait aussi un constat sans appel : être expert-comptable ne suffit pas à faire cabinet. Elle doit devenir cheffe d’entreprise, définir ses valeurs, ses cibles, son modèle économique, et assumer des choix forts :
« Je choisis mes clients. On m’a dit que j’étais folle. Mais je ne regrette pas ce choix. »
De Deciseo au CJEC… puis à la présidence de l’Ordre
C’est par le CJEC que Delphine entre dans la vie institutionnelle de la profession. Elle y découvre d’autres jeunes experts-comptables, s’y sent soutenue, et gravit rapidement les échelons : vice-présidente en 2018, présidente régionale en 2019, puis n°2 sur une liste CROEC, avant de prendre la tête du conseil régional de Nouvelle-Aquitaine en 2022.
Un mandat qu’elle mène tout en conservant son cabinet, avec une lucidité pleine de franchise :
« Être présidente, c’est faire le deuil d’une croissance. Mon objectif, c’est de ne pas perdre de clients, pas d’en gagner. »
Elle s’appuie sur ses deux collaborateurs, recrutés avec une exigence d’autonomie forte, et prévient ses clients : elle est moins là physiquement, mais reste totalement investie.
Changer l’image du métier… de l’intérieur
Delphine revient longuement sur un enjeu qui lui tient à cœur : l’image déformée, souvent réductrice, de l’expert-comptable. Elle évoque avec franchise les idées reçues, l’autocensure de la profession, et le manque de valorisation :
« On nous appelle encore “comptables”. On nous réduit à une liasse. Il faut que ça change. »
Elle déplore aussi les freins structurels à la rentabilité :
- Incapacité chronique à vendre du conseil dignement
- Taux horaires très faibles
- Inflation logicielle massive
- Dépendance à une culture technique, et non entrepreneuriale
Plateformes, facturation électronique, cabinets low-cost : les combats d’aujourd’hui
Face à l’émergence d’acteurs non-inscrits (ou faiblement qualifiés) qui captent la demande réglementaire, Delphine est claire : le danger immédiat est la banalisation de la mission comptable. Mais le risque majeur est ailleurs :
« Ce n’est pas la liasse qu’ils nous volent. C’est l’entrée en relation. Et donc, demain, les missions à valeur ajoutée. »
En tant que présidente du CROEC Nouvelle-Aquitaine, elle engage un combat concret contre certaines plateformes implantées dans sa région, en lien avec le Conseil national, avec un objectif : structurer une réponse juridique, efficace, pérenne.
Une conviction forte : sans pilotage, pas de développement
La conversation prend aussi un tour très opérationnel. Delphine insiste sur la nécessité de se faire aider, de piloter son cabinet comme une entreprise, d’analyser objectivement son portefeuille, et de sortir du modèle extensif :
« Dire “on ne prend plus de clients” sans avoir trié son portefeuille, c’est un pansement sur une plaie béante. »
Elle milite pour un pilotage lucide, une montée en gamme assumée, et l’arrêt du réflexe “bon samaritain” :
« L’expert-comptable veut être l’élève modèle. Mais il faut qu’il apprenne à se faire respecter. »
Une vision inspirante, à transmettre
Delphine conclut avec un message aux jeunes générations :
« Le métier devient chaque année plus passionnant. On a tout à créer. Chaque cabinet sera demain un cabinet différent. »
Elle revendique une vision sensible, engagée, ancrée dans les territoires. Elle incarne un modèle nouveau d’expert-comptable : plus politique, plus stratégique, plus autonome. Et surtout : pleinement consciente de sa valeur.
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