

Une plongée dans les coulisses du droit boursier, entre communication financière, gouvernance d’entreprise et défense des investisseurs.
Valentin Tonti-Bernard reçoit Sophie Vermeille, avocate aux confins du droit boursier, de la finance d’entreprise et de la comptabilité. Fondatrice d’un cabinet singulier en France, elle défend une catégorie d’acteurs rarement mise en avant : les investisseurs externes, souvent minoritaires, qui cherchent à faire respecter la transparence des marchés.
Son métier : décrypter les comptes, lire entre les lignes des rapports financiers et défendre l’intégrité de l’information publique. Un métier exigeant, discret, où la rigueur juridique se conjugue à la lecture critique des chiffres.
Diplômée en droit et passionnée par les mécanismes économiques, Sophie Vermeille a construit un parcours singulier entre cabinets d’affaires et recherche académique. Très tôt, elle s’intéresse à la façon dont le droit influence la stabilité financière et la confiance des investisseurs.
« Le droit n’est pas une discipline abstraite : il conditionne la façon dont les acteurs se comportent, dont ils communiquent, dont ils se financent. »
En fondant son propre cabinet, elle choisit une voie rare : celle de l’accompagnement juridique des investisseurs, et plus particulièrement de ceux qui interviennent sur les marchés cotés. Ni avocate d’émetteurs, ni conseil de fonds spéculatifs agressifs : son rôle consiste à analyser, documenter et défendre la transparence des sociétés cotées lorsque des signaux d’alerte apparaissent dans leurs communications financières.
Dans un univers dominé par la défense des entreprises émettrices, le positionnement de Sophie Vermeille interroge. Son cabinet représente des investisseurs dits “publics”, c’est-à-dire ceux qui ne disposent d’aucune information privilégiée et s’appuient uniquement sur les documents publiés : rapports annuels, comptes consolidés, présentations investisseurs, communiqués de presse.
Ces investisseurs, souvent minoritaires, subissent les asymétries d’information inhérentes aux marchés.
« Lorsqu’un dirigeant embellit ses résultats ou dissimule une exposition risquée, c’est l’investisseur extérieur qui paie la facture », explique-t-elle.
Son travail consiste donc à analyser la cohérence entre la communication financière et la réalité comptable, et à identifier les zones d’ombre susceptibles de tromper le marché.
L’un des aspects les plus sensibles de cette activité touche aux vendeurs à découvert — ces acteurs souvent caricaturés comme les “méchants” de la finance.
Sophie Vermeille en donne une lecture radicalement différente :
« Un vendeur à découvert n’attaque pas une entreprise. Il estime simplement que le prix de marché ne reflète pas la valeur réelle du sous-jacent. »
Ces investisseurs contribuent à révéler les incohérences et à corriger les excès de valorisation. L’affaire Wirecard, en Allemagne, ou certaines séquences du dossier Casino en France, montrent à quel point leur rôle peut servir l’intérêt général — à condition d’être encadré et transparent.
« Ils jouent un rôle de contre-pouvoir économique. Leur travail, c’est de rétablir la vérité des prix », souligne-t-elle.
L’un des constats centraux de l’épisode tient à la fracture entre communication financière et réalité comptable.
Les directions d’entreprise, sous la pression des marchés, ont parfois tendance à présenter des agrégats “personnalisés” — EBITDA ajusté, résultat retraité, indicateurs pro forma — qui embellissent artificiellement la performance.
Or ces indicateurs, non normés, peuvent masquer des décalages de trésorerie ou dissimuler des pertes latentes.
« La communication financière commence en slide 1 ; la vérité, parfois, en note de bas de page. »
Pour Sophie Vermeille, la clé réside dans la lecture patiente des annexes, là où se cachent les informations les plus déterminantes : covenants, engagements hors bilan, retraitements comptables, ou variations de périmètre.
C’est dans ces détails que se joue souvent la compréhension réelle de la santé d’une entreprise.
Au-delà des affaires individuelles, Sophie Vermeille défend une conviction forte : protéger les investisseurs, c’est améliorer la santé économique globale.
« Plus vous protégez les investisseurs, plus le coût du capital baisse pour l’entreprise. »
Cette logique, issue de la recherche anglo-saxonne en law & finance, repose sur une idée simple : un marché transparent réduit la prime de risque.
Lorsque les règles d’information sont claires et respectées, les investisseurs acceptent un risque plus faible et financent les entreprises à moindre coût.
À l’inverse, l’opacité se traduit par une défiance généralisée et un financement plus cher pour tous.
Les dossiers internationaux traités par Sophie Vermeille l’amènent à interagir avec les principaux régulateurs des marchés : AMF en France, BaFin en Allemagne, SEC aux États-Unis.
Chaque institution a sa propre culture, ses priorités et son rapport à la preuve.
« La France reste marquée par une approche administrative et procédurale, là où les États-Unis privilégient la sanction économique et la jurisprudence », explique-t-elle.
Naviguer dans ces environnements exige une rigueur déontologique absolue : traçabilité des échanges, confidentialité des informations, respect des Chinese walls entre avocats et investisseurs.
C’est cette discipline qui permet de défendre la transparence sans jamais franchir la ligne rouge de la spéculation.
Les affaires boursières ne se jouent pas uniquement dans les prétoires ou les bureaux des régulateurs : elles se gagnent aussi dans les médias.
Lorsqu’une entreprise refuse de répondre aux investisseurs ou à leurs avocats, c’est parfois la presse qui permet de relancer le débat public.
Mais cette exposition a un coût :
procédures bâillon, campagnes de discrédit, pressions personnelles.
« On tente parfois de faire taire la critique par la procédure. »
Sophie Vermeille plaide pour une meilleure protection des professionnels (avocats, analystes, journalistes économiques) qui agissent dans l’intérêt général et dont le travail repose sur des données publiques, vérifiées et argumentées.
L’épisode aborde également le rôle du monde universitaire dans la construction de la doctrine économique et juridique.
Sophie Vermeille appelle à une transparence accrue sur les liens entre professeurs, chercheurs et entreprises privées.
« Le débat contradictoire ne doit pas être faussé par des opinions commandées. »
Elle plaide pour un modèle inspiré des pratiques anglo-saxonnes, où la déclaration d’intérêts est systématique, garantissant l’objectivité du discours académique.
Cette exigence rejoint sa conviction plus large : la confiance se construit par la clarté, quel que soit le domaine — financier, juridique ou intellectuel.
Tout au long de sa carrière, Sophie Vermeille a défendu une approche résolument pluridisciplinaire.
« Le juriste du XXIᵉ siècle doit comprendre un bilan. »
Face à la complexité croissante des entreprises, des outils financiers et des réglementations, le cloisonnement des disciplines n’a plus de sens.
Le juriste moderne doit comprendre les flux économiques, les normes comptables, les ratios de levier ou les implications des données extra-financières (ESG, taxonomie, CSRD).
Cette hybridation des savoirs permet une approche plus fine des enjeux de gouvernance, de risque et de conformité.
Elle s’impose aujourd’hui comme un standard pour les professions du droit et du chiffre.
Au fil de l’entretien, se dessine la figure d’une avocate qui refuse les simplifications.
Sophie Vermeille manie les chiffres autant que les concepts et fait de la véracité de l’information un principe éthique autant qu’économique.
Dans un monde saturé de communication, elle rappelle que la transparence est un atout concurrentiel.
« Rétablir la vérité financière, c’est défendre l’intérêt général. »
Son travail illustre le rôle essentiel du droit dans la régulation des marchés : non pas comme contrainte, mais comme outil de confiance collective.



