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12.1.2025

Didier Martin « Grandir, oui : mais seulement si la qualité augmente plus vite que la taille »

Didier Martin (Bredin Prat) : 50 ans de barreau, de M&A et de construction d’un cabinet d’exception

Valentin Tonti-Bernard reçoit Didier Martin, senior partner du cabinet Bredin Prat, figure majeure du M&A et du droit boursier depuis près de cinq décennies.
De Gide aux grandes OPA françaises, en passant par la construction méthodique d’un des cabinets les plus respectés et profitables du marché, il livre un regard rare sur la profession : ses évolutions, ses dérives, ses exigences, et surtout ce qui fait durer un cabinet d’affaires au plus haut niveau.

De Gide à Bredin Prat : comment naît une carrière de référence

Une vocation née presque par accident

À l’université, Didier Martin se voit plutôt universitaire que praticien. Le barreau ne fait pas partie du plan… jusqu’au jour où il rend visite à un ami jeune collaborateur chez Gide. Il découvre un cabinet organisé, internationalisé, structuré — un contraste saisissant avec l’image traditionnelle de l’avocat solitaire. C’est le déclic.

Les années Gide : une école incomparable

Chez Gide, il travaille sous la direction de Jean Noiret et Philippe Noël, deux avocats aux pratiques très larges. Résultat : il touche à tout.

  • grands contrats internationaux,
  • arbitrage,
  • contentieux environnementaux,
  • négociations interminables pour des centrales électriques ou des autoroutes,
  • lutte contre la contrefaçon pour Levi’s,
  • premières OPA dès 1978.

Cette diversité aiguise une compétence clé : replacer chaque dossier dans sa logique économique, politique et humaine. Un réflexe qui deviendra la marque de fabrique de sa pratique M&A.

Les années 1988–1989 : naissance du droit moderne des OPA

À cette époque, le droit boursier se structure. Les recours deviennent possibles contre les autorités boursières, et Didier Martin exerce le premier recours de l’histoire moderne des marchés.
Il contribue à formaliser cette matière nouvelle en co-écrivant un ouvrage de référence avec le secrétaire général de l’ANSA. Au point que, lors d’une affaire, les magistrats se passent son livre à l’audience pour s’orienter. Un moment fondateur.

1991 : quitter Gide pour un petit cabinet ambitieux

En 1991, il quitte Gide. Pas de crise, mais le sentiment que le cabinet, trop installé, manque de tension :

« Il faut sentir que demain nécessite un effort aujourd’hui. »

Bredin Prat, alors une petite structure d’une quinzaine d’avocats, attire par l’excellence de ses associés — Jean-Denis Bredin, Jean-François Prat — et par la qualité de ses dossiers (Lazard notamment). Le pari : rejoindre une base élite, et construire.

Bredin Prat : grandir sans perdre l’âme du cabinet

Croissance vertueuse : plus rentable, mais surtout plus cohérente

En 34 ans, le cabinet passe d’une petite structure à 230 avocats. Mais la croissance a été pensée pour rester qualitative.
Didier Martin le dit clairement :

« La profitabilité, c’est un signe de reconnaissance du marché. »

À chaque nouveau recrutement d’associé, deux critères :

  1. être parmi les meilleurs de sa pratique,
  2. renforcer les opérations stratégiques du cabinet (OPA, M&A, contentieux boursier…).

Pas un “support M&A”, mais de vraies pratiques autonomes

Bredin Prat n’a pas développé des départements « annexes ». Il a construit de vraies pratiques reconnues : fiscalité, social, concurrence, private equity, contentieux complexes.

Chaque associé recruté doit pouvoir assumer son rang sur son marché — pas seulement « servir » le M&A. Ce modèle permet une coordination fluide :
un client arrivant pour une offre publique peut faire confiance à chaque intervenant, quel que soit son domaine.

Le réseau Slaughter & May et les best friends

Autre pilier : une relation de +25 ans avec Slaughter & May et son réseau de best friends européens.
Aucune exclusivité, aucun contrat — juste la confiance et la reconnaissance mutuelle.

Ce réseau permet :

  • l’accès à des dossiers internationaux impossibles autrement,
  • des liens avec les plus grands cabinets indiens, chinois, britanniques,
  • un bureau commun à Bruxelles,
  • une soixantaine de rencontres annuelles (travail, séminaires… jusqu’aux matchs de football inter-cabinets).

Un modèle d’internationalisation unique, sans fusion ni perte d’indépendance.

Gouvernance, rémunération, conflits d’intérêts : l’envers d’un cabinet performant

Le tabou des cabinets d’affaires : comment éviter l’implosion

Les conflits d’intérêts ont fait exploser plus d’un cabinet. Surtout ceux fonctionnant au « eat what you kill ».
Chez Bredin Prat, jamais de départ massif lié à un conflit — un fait extrêmement rare à ce niveau.

Pourquoi ?
Parce que tout repose sur un principe simple, répété par Didier Martin :

« Si la relation entre associés n’est que financière, le cabinet implose. »

Les décisions de conflit d’intérêts sont prises selon :

  • l’intérêt global du cabinet,
  • la déontologie,
  • la préservation des clients historiques,
  • une analyse collective et raisonnable.

Une gouvernance élargie pour maintenir la cohésion

Contrairement à beaucoup de cabinets, Bredin Prat fonctionne avec un collège d’environ 15 associés impliqués dans le management.
Un modèle plus lourd, mais qui garantit : transparence, adhésion collective, réactivité aux transformations du marché (IA, recrutement, Best Friends…).

Le lockstep modulé : un équilibre rare

Le cabinet refuse le « eat what you kill » mais évite aussi un lockstep rigide.

Deux comités gèrent la rémunération : un comité restreint (3 associés) avec accès intégral aux chiffres et un comité élargi (5–6 associés) pour la discussion.

Objectif :

  • reconnaître les très grands contributeurs,
  • soutenir les pratiques en phase d’investissement,
  • maintenir l’harmonie interne.

Chaque associé reçoit une explication individuelle — une transparence relationnelle qui contribue à la stabilité exceptionnelle du partnership.

Private equity, cabinets américains, place de Paris : une lecture stratégique

Pourquoi développer une pratique private equity

Le private equity est devenu central dans le M&A.
Bredin Prat ne cherche pas à concurrencer les géants américains comme Kirkland ou Latham, mais à disposer d’une équipe spécialisée, crédible, capable de naviguer dans les codes du secteur.

Pourquoi refuser les fusions internationales

Plusieurs cabinets internationaux ont approché Bredin Prat. La réponse reste la même. Tant que le cabinet attire les dossiers stratégiques, maintient son indépendance, et reste l’un des plus profitables de la place aucune raison de passer sous une bannière étrangère.

L’IA dans les cabinets d’avocats : outil puissant, pas encore révolutionnaire

Une adoption totale, mais pragmatique

100 % des collaborateurs sont équipés d’une licence Harvey, de pilotes multiples (start-ups, solutions spécialisées), tests abandonnés avec Microsoft (« pas au niveau pour l’instant »).

Usage réel :

  • résumés de réunions,
  • tri automatisé de milliers de contrats,
  • investigations documentaires massives.

Exemple :
tri de 2 000 contrats de chauffeurs VTC en quelques secondes à partir de critères juridiques définis par les avocats.

Un gain d’efficacité, pas un changement de modèle

Pour Didier Martin l’IA fait gagner du temps parfois elle produit mieux que l’humain sur certaines tâches, mais le métier ne va pas changer radicalement dans les 2–3 ans.

Il met en garde contre les effets d’annonce et refuse de voir dans l’IA un prétexte aux rapprochements artificiels entre cabinets :

« Se rapprocher pour “investir dans l’IA”, c’est courir après le vent. »

Ce que les jeunes avocats doivent retenir

On peut devenir associé sans apporter de clients

Chez Bredin Prat, l’association repose d’abord sur :

  • la personnalité,
  • la capacité à porter des dossiers lourds,
  • la cohérence avec la culture du cabinet,
  • l’exigence technique.

Les jeunes associés développent ensuite leur clientèle, mais ce n’est pas un prérequis.

La qualité du collectif prime

C’est le fil rouge de son discours : un cabinet tient par la confiance, pas par les contrats, par la qualité des relations entre associés, par un niveau d’exigence partagé, par le respect des clients et des collaborateurs.

Et parfois, cela implique de refuser certains clients ou dirigeants avec lesquels la relation serait impossible.

Conclusion : ce que révèle un demi-siècle de barreau

L’entretien dessine la vision d’un avocat pour qui technique, stratégie et culture du collectif sont indissociables.
Didier Martin rappelle que la véritable valeur d’un cabinet se mesure moins à sa taille qu’à :

  • sa capacité à maintenir une exigence constante,
  • son indépendance,
  • sa gouvernance cohérente,
  • son intelligence relationnelle,
  • sa réputation auprès des clients.

Et il laisse une leçon simple, mais centrale :

La profitabilité n’est pas un objectif financier.
C’est le signe que le marché reconnaît la qualité du travail.

Une réflexion précieuse à l’heure où les cabinets d’avocats traversent transformation technologique, pressions économiques et mutations profondes des attentes des collaborateurs.

Questions fréquentes

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