

Didier Martin (Bredin Prat) : 50 ans de barreau, de M&A et de construction d’un cabinet d’exception
Valentin Tonti-Bernard reçoit Didier Martin, senior partner du cabinet Bredin Prat, figure majeure du M&A et du droit boursier depuis près de cinq décennies.
De Gide aux grandes OPA françaises, en passant par la construction méthodique d’un des cabinets les plus respectés et profitables du marché, il livre un regard rare sur la profession : ses évolutions, ses dérives, ses exigences, et surtout ce qui fait durer un cabinet d’affaires au plus haut niveau.
À l’université, Didier Martin se voit plutôt universitaire que praticien. Le barreau ne fait pas partie du plan… jusqu’au jour où il rend visite à un ami jeune collaborateur chez Gide. Il découvre un cabinet organisé, internationalisé, structuré — un contraste saisissant avec l’image traditionnelle de l’avocat solitaire. C’est le déclic.
Chez Gide, il travaille sous la direction de Jean Noiret et Philippe Noël, deux avocats aux pratiques très larges. Résultat : il touche à tout.
Cette diversité aiguise une compétence clé : replacer chaque dossier dans sa logique économique, politique et humaine. Un réflexe qui deviendra la marque de fabrique de sa pratique M&A.
À cette époque, le droit boursier se structure. Les recours deviennent possibles contre les autorités boursières, et Didier Martin exerce le premier recours de l’histoire moderne des marchés.
Il contribue à formaliser cette matière nouvelle en co-écrivant un ouvrage de référence avec le secrétaire général de l’ANSA. Au point que, lors d’une affaire, les magistrats se passent son livre à l’audience pour s’orienter. Un moment fondateur.
En 1991, il quitte Gide. Pas de crise, mais le sentiment que le cabinet, trop installé, manque de tension :
« Il faut sentir que demain nécessite un effort aujourd’hui. »
Bredin Prat, alors une petite structure d’une quinzaine d’avocats, attire par l’excellence de ses associés — Jean-Denis Bredin, Jean-François Prat — et par la qualité de ses dossiers (Lazard notamment). Le pari : rejoindre une base élite, et construire.
En 34 ans, le cabinet passe d’une petite structure à 230 avocats. Mais la croissance a été pensée pour rester qualitative.
Didier Martin le dit clairement :
« La profitabilité, c’est un signe de reconnaissance du marché. »
À chaque nouveau recrutement d’associé, deux critères :
Bredin Prat n’a pas développé des départements « annexes ». Il a construit de vraies pratiques reconnues : fiscalité, social, concurrence, private equity, contentieux complexes.
Chaque associé recruté doit pouvoir assumer son rang sur son marché — pas seulement « servir » le M&A. Ce modèle permet une coordination fluide :
un client arrivant pour une offre publique peut faire confiance à chaque intervenant, quel que soit son domaine.
Autre pilier : une relation de +25 ans avec Slaughter & May et son réseau de best friends européens.
Aucune exclusivité, aucun contrat — juste la confiance et la reconnaissance mutuelle.
Ce réseau permet :
Un modèle d’internationalisation unique, sans fusion ni perte d’indépendance.
Les conflits d’intérêts ont fait exploser plus d’un cabinet. Surtout ceux fonctionnant au « eat what you kill ».
Chez Bredin Prat, jamais de départ massif lié à un conflit — un fait extrêmement rare à ce niveau.
Pourquoi ?
Parce que tout repose sur un principe simple, répété par Didier Martin :
« Si la relation entre associés n’est que financière, le cabinet implose. »
Les décisions de conflit d’intérêts sont prises selon :
Contrairement à beaucoup de cabinets, Bredin Prat fonctionne avec un collège d’environ 15 associés impliqués dans le management.
Un modèle plus lourd, mais qui garantit : transparence, adhésion collective, réactivité aux transformations du marché (IA, recrutement, Best Friends…).
Le cabinet refuse le « eat what you kill » mais évite aussi un lockstep rigide.
Deux comités gèrent la rémunération : un comité restreint (3 associés) avec accès intégral aux chiffres et un comité élargi (5–6 associés) pour la discussion.
Objectif :
Chaque associé reçoit une explication individuelle — une transparence relationnelle qui contribue à la stabilité exceptionnelle du partnership.
Le private equity est devenu central dans le M&A.
Bredin Prat ne cherche pas à concurrencer les géants américains comme Kirkland ou Latham, mais à disposer d’une équipe spécialisée, crédible, capable de naviguer dans les codes du secteur.
Plusieurs cabinets internationaux ont approché Bredin Prat. La réponse reste la même. Tant que le cabinet attire les dossiers stratégiques, maintient son indépendance, et reste l’un des plus profitables de la place aucune raison de passer sous une bannière étrangère.
100 % des collaborateurs sont équipés d’une licence Harvey, de pilotes multiples (start-ups, solutions spécialisées), tests abandonnés avec Microsoft (« pas au niveau pour l’instant »).
Usage réel :
Exemple :
tri de 2 000 contrats de chauffeurs VTC en quelques secondes à partir de critères juridiques définis par les avocats.
Pour Didier Martin l’IA fait gagner du temps parfois elle produit mieux que l’humain sur certaines tâches, mais le métier ne va pas changer radicalement dans les 2–3 ans.
Il met en garde contre les effets d’annonce et refuse de voir dans l’IA un prétexte aux rapprochements artificiels entre cabinets :
« Se rapprocher pour “investir dans l’IA”, c’est courir après le vent. »
Chez Bredin Prat, l’association repose d’abord sur :
Les jeunes associés développent ensuite leur clientèle, mais ce n’est pas un prérequis.
C’est le fil rouge de son discours : un cabinet tient par la confiance, pas par les contrats, par la qualité des relations entre associés, par un niveau d’exigence partagé, par le respect des clients et des collaborateurs.
Et parfois, cela implique de refuser certains clients ou dirigeants avec lesquels la relation serait impossible.
L’entretien dessine la vision d’un avocat pour qui technique, stratégie et culture du collectif sont indissociables.
Didier Martin rappelle que la véritable valeur d’un cabinet se mesure moins à sa taille qu’à :
Et il laisse une leçon simple, mais centrale :
La profitabilité n’est pas un objectif financier.
C’est le signe que le marché reconnaît la qualité du travail.
Une réflexion précieuse à l’heure où les cabinets d’avocats traversent transformation technologique, pressions économiques et mutations profondes des attentes des collaborateurs.


