
Découvrez comment un avocat fiscaliste a multiplié sa rentabilité en passant de la facturation horaire à la facturation à la valeur.
La facturation au temps passé est l’un des piliers historiques du métier d’avocat. Héritée du modèle industriel — où le temps était la mesure de la production — elle s’est imposée comme un standard quasi religieux. Le client paie le temps, pas le résultat.
Ce modèle trouve sa racine dans une idée simple : le travail produit de la valeur parce qu’il consomme du temps humain. C’est une vision héritée de l’économie classique, puis reprise par la pensée marxiste : la valeur d’un bien (ou d’un service) provient du travail qu’il incorpore.
Autrement dit, le temps de travail serait la “substance de la valeur”.
Mais appliqué au droit fiscal transactionnel ou patrimonial, ce raisonnement devient absurde.
Un avocat peut sauver un client d’un redressement de 1,2 million d’euros en deux heures de travail ; un autre peut passer dix heures sur une clause mal rédigée sans rien éviter du tout.
Il est temps — justement — de sortir du culte de l’heure et de parler de valeur créée.
Cet article propose une application concrète de cette bascule, à travers le cas d’un avocat fiscaliste qui décide de ne plus vendre son chronomètre, mais son intelligence.
Prenons un avocat fiscaliste “classique”, appelons-le Maître L.
Il travaille depuis dix ans dans un cabinet de taille moyenne, avec une spécialisation transactionnelle et patrimoniale.
Ses honoraires : 400 € de l’heure. Son taux d’activité : 1 200 heures facturées par an, soit 480 000 € de chiffre d’affaires brut. Sur le papier, tout va bien.
Mais regardons de plus près.
Maître L. passe en réalité 1 800 heures à travailler, gérer, superviser, prospecter.
Ses heures non facturées (600 par an) ne sont jamais prises en compte.
Sa rentabilité effective tombe donc à 266 € de l’heure réelle.
Et surtout : son chiffre d’affaires est plafonné.
Même s’il devient plus rapide, plus expérimenté, plus productif, il ne peut pas dépasser les 24 heures de sa journée ni les 365 jours de son année.
C’est ce que j’appelle la malédiction du bon avocat : plus il maîtrise son sujet, plus il devient rapide, et moins il gagne à l’heure.
C’est comme si Usain Bolt était payé au kilomètre : il deviendrait pauvre à mesure qu’il s’améliore.
Ajoutons à cela la perception client.
Un client qui reçoit une facture de 8 heures pour une consultation a l’impression d’avoir “acheté du temps”.
Un client qui reçoit une facture forfaitaire pour un résultat, lui, a l’impression d’avoir “acheté une solution”.
Et il est beaucoup plus enclin à payer pour une solution que pour une durée.
Passons au concret.
Une famille d’entrepreneurs s’apprête à céder 80 % des parts d’une société de conseil à un fonds d’investissement.
Montant de l’opération : 12 millions d’euros.
Leur avocat fiscaliste (notre Maître L.) intervient pour optimiser la structuration de la vente, anticiper la fiscalité sur la plus-value et sécuriser la transmission du produit de cession.
Maître L. estime qu’il va y passer 25 heures :
25 h x 400 € = 10 000 € HT.
Jusque-là, rien d’anormal.
Mais dans le cadre de cette opération, l’économie fiscale nette que son travail va générer pour le client est estimée à 340 000 € (via un mécanisme de report et une holding de réinvestissement).
Maître L. décide d’adopter une logique de valeur.
Il fixe trois paliers :
Le client choisit l’option 2, considérant que la valeur du gain justifie largement le prix.
Temps réel passé par l’avocat : 22 heures.
Revenu : 20 000 €, soit 909 € de revenu horaire (contre 400 € auparavant).
Le client, lui, a payé 6 % de la valeur créée (340 000 € d’économie).
Tout le monde y gagne.
Le temps passé n’est pas une mesure pertinente de la valeur.
Ce que le client achète, ce n’est pas du temps ; c’est de la certitude.
Et la certitude se vend infiniment mieux que la durée.
Comme me disait un jour un avocat d’affaires :
“Je ne facture pas 10 000 € pour deux heures de travail.
Je facture 10 000 € pour vingt ans d’expérience qui me permettent de le résoudre en deux heures.”
Changer de modèle ne se décrète pas, cela se prépare.
Voici le chemin que Maître L. a suivi — et que tout avocat fiscaliste peut suivre — pour passer du temps à la valeur.
Toutes les missions ne s’y prêtent pas.
La facturation à la valeur fonctionne sur les opérations à enjeux : cession, structuration, succession, contentieux fiscal lourd.
Les missions répétitives (déclarations, contrôles simples) restent mieux gérées en forfaits standardisés.
Sur 100 dossiers annuels, Maître L. en identifie 25 susceptibles de passer à la valeur.
Objectif : 25 dossiers à valeur x 20 000 € en moyenne = 500 000 €, soit le même chiffre qu’avant… mais avec moitié moins de dossiers.
Pour chaque mission, il définit :
Ces critères deviennent sa grille de prix.
Là où le temps passé lui coûtait 400 € de l’heure, il construit désormais une logique de marge sur valeur.
Pour éviter le flou, il formalise trois niveaux de service (base, plus, premium).
Chaque niveau a un prix clair, un périmètre défini, des livrables précis.
Le client choisit le niveau selon la valeur qu’il recherche, pas selon le temps qu’il veut acheter.
Exemple :
Ce découpage simplifie la vente, tout en respectant l’éthique : le client garde la main.
La bascule échoue souvent parce que l’avocat s’excuse de son prix.
Il faut l’assumer avec pédagogie :
“Nous facturons à la valeur, parce que nous nous engageons sur un résultat et non sur une durée. Vous payez pour une solution, pas pour une montre.”
Et quand le client demande : “Combien d’heures cela prendra-t-il ?”
La réponse est simple :
“Aucune idée, et c’est précisément ce qui vous rassure : vous ne prenez pas le risque de la durée.”
La bascule doit être mesurée.
Dans le cas de Maître L. :
Petit bonus : son stress a baissé d’un bon tiers.
(Il dit que son Apple Watch affiche enfin moins de pics cardiaques pendant la période fiscale.)
Une fois la bascule effectuée, les effets dépassent la simple facturation.
Le client ne voit plus un prestataire, mais un partenaire stratégique.
Le dialogue change : on ne parle plus de “combien d’heures il reste”, mais de “ce qu’il reste à atteindre”.
Les discussions deviennent plus sereines, plus constructives, plus fidèles.
La confiance grandit, car les intérêts sont alignés : si le client réussit, l’avocat est légitimé.
Les clients “au forfait valeur” deviennent aussi des ambassadeurs puissants : ils parlent d’un avocat qui “crée de la valeur”, pas d’un avocat qui “facture cher”.
La rentabilité horaire explose, la prévisibilité des revenus augmente, et les risques de contestation de factures s’effondrent.
En moyenne, les cabinets qui passent en facturation à la valeur observent un gain de marge de 30 à 50 % et une réduction de 40 % des litiges de facturation.
Facturer à la valeur, c’est accepter de se faire juger sur son impact, pas sur sa durée.
C’est donc un acte de confiance en soi, en son expertise et en la qualité de sa relation client.
L’avocat devient un acteur de stratégie, pas un producteur d’actes.
Il quitte le terrain du “temps vendu” pour celui du “résultat livré”.
Et, entre nous, cela fait du bien à l’ego.
Parce qu’au fond, qui a choisi ce métier pour compter ses heures ?
La bascule à la valeur ne se fait pas seul.
Il faut former ses collaborateurs, repenser la communication interne, adapter les outils (CRM, suivi de mission, reporting).
Mais le changement de culture est salutaire :
les collaborateurs apprennent à raisonner en “impact client” plutôt qu’en “taux horaire”.
Et paradoxalement, cela redonne du sens à leur travail.
Je me souviens d’un collaborateur de Maître L. qui m’a dit :
“Avant, j’avais l’impression d’être payé pour taper vite.
Maintenant, j’ai l’impression d’être payé pour réfléchir bien.”
C’est tout l’enjeu.
La facturation à la valeur n’est pas une révolution théorique ; c’est un changement de civilisation dans les professions du droit et du chiffre.
Elle redonne au métier sa noblesse : celle de résoudre, d’accompagner, d’éclairer.
Elle transforme la relation en partenariat, la mission en engagement, le client en allié.
Pour un avocat fiscaliste, c’est aussi une question de cohérence : comment prêcher l’optimisation et la structuration pour ses clients tout en restant prisonnier d’un modèle qui plafonne sa propre valeur ?
Facturer à la valeur, c’est refuser d’être rémunéré pour le temps qui passe, et choisir d’être payé pour le temps qu’on fait gagner.
Et entre nous, il y a quelque chose d’assez poétique à cela :
le jour où l’avocat cesse de vendre des heures, il commence enfin à vendre de la liberté.